2015年9月22日

Les Japonais inanalysables ?

Selon Shizuka SHIRAKAWA (1910-2006) qui est un des plus grands sinogrammatologues de notre temps, les sinogrammes dans leur origine (ca 14 siècles av. J.-C.) étaient des figures qui présentifient aux hommes les paroles des Cieux et qui permettent par là les communications des hommes avec les Cieux. Au cours des temps, cette signification originaire des sinogrammes est complètement perdue de sorte qu’ils sont devenus dans la langue japonaise de simples lettres ou caractères quon appelle communément idéogrammes.

On pourrait dire quil sagit là bien une sorte de dégradation. Et cette dégradation, on pourrait lappeler snobisme selon Alexandre Kojève qui, au retour de son voyage au Japon en 1959, appelle la situation japonaise « le snobisme à l’état pur ». Ce terme de snobisme, Lacan le cite dans son Avis au lecteur japonais (Autres écrits, p.497).

Je cite un passage ajouté en 1968 de l’Introduction à la lecture de Hegel de Kojève : 

« La civilisation japonaise ‹ post-historique › s’est engagée dans des voies diamétralement opposées à la ‹ voie américaine ›. Sans doute, n’y a-t-il plus eu au Japon de religion, de morale, ni de politique au sens ‹ européen › ou ‹ historique › de ces mots. Mais le snobisme à l’état pur y créa des disciplines négatrices du donné ‹ naturel › ou ‹ animal › qui dépassèrent de loin, en efficacité, celles qui naissaient, au Japon ou ailleurs, de l’action ‹ historique ›, c’est-à-dire des luttes guerrières et révolutionnaires ou du travail forcé. (...) tous les Japonais sans exception sont actuellement en état de vivre en fonction de valeurs totalement formalisées, c’est-à-dire complètement vidées de tout contenu ‹ humain › au sens d’‹ historique ›. (...) l’interaction récemment amorcée entre le Japon et le monde occidental aboutira en fin de compte non pas à une rebarbarisatlon des Japonais, mais à une ‹ japonisation › des Occidentaux (les Russes y compris) ».

Le snobisme à l’état pur et une japonisation universelle, on en voit un bel exemple sur le T-shirt de Lily-Rose Depp où sont imprimés quelques mots japonais qui ne sont que des ornements graphiques et qui ne signifient plus rien.


Lacan nous suggère que ce snobisme japonais tient aux processus incessants de traduction à l’intérieur de la langue japonaise même, lesquels ont commencé au moment où de sinogrammes ont été importés la première fois de la langue chinoise dans la langue japonaise au 5ème siècle apr. J.-C. Auparavant, il n’y avait pas de lettre ni de caractère dans la langue japonaise. Des sinogrammes et des mots chinois sont absolument nécessaires dans la langue japonaise pour signifier des choses politiques et scientifiques, ainsi que pour écriture de sutras bouddhiques.

En plus, au moment d’introductions massives de choses occidentales au XIXème siècle, on a inventé dans la langue japonaise une multiplicité de néologismes composés de sinogrammes pour traduire de mots de diverses langues occidentales, ce qui a aggravé encore de confusions dans la langue japonaise. Et de telles confusions ne cessent pas de s’aggraver sous l’influence de l’américanisation mondiale qui a commencé au XXème siècle.

Dans la langue japonaise, on lit un sinogramme dans une approximation historiquement fixeé de sa prononciation chinoise originaire. C’est ce qu’on appelle on-yomi d’un sinogramme. Étant donné que l’on-yomi d’un sinogramme comme tel ne veut rien dire dans la langue japonaise, on y associe de façon plus ou moins arbitraire un ou plusieurs mots japonais qui représenteraient des sens du sinogramme. C’est ce qu’on appelle kun-yomi d’un sinogramme.

Et maintenant, des mots américains, on n’en traduit plus dans la langue japonaise. Un mot américain, on le lit dans une approximation de sa prononciation américaine originaire, mais on n’y associe plus aucun mot japonais déterminé. Un mot américain dans une prononciation japonisée est employé comme tel sans qu’on sache exactement quel sens il a originairement dans la langue américaine.

Un mot d’origine chinoise s’écrit avec de sinogrammes qui sont des idéogrammes. Un mot proprement japonais s’écrit avec de hiragana, un premier système de phonogrammes inventés à partir de sinogrammes au 9ème siècle. Un mot importé de langues occidentales et qu’on emploie sans le traduire dans la langue japonaise s’écrit avec de katakana, un second système de phonogrammes également inventés à partir de sinogrammes au 9ème siècle mais d’une façon autre que les hiragana.

Tout cela fait des confusions cauchemardesques qui dominent la langue japonaise, de sorte qu’elle est maintenant lalangue par excellence dont les matières vocales ne signifient rien de précis ou de déterminé en restant « indécis[es] entre le phonème, le mot, la phrase, voire toute la pensée » (Lacan, le 26 juin 1973).

C’est-à-dire l’être parlant japonais est un James Joyce sans le savoir ni le vouloir – James Joyce qui a créé lalangue de Finnegans Wake, c’est-à-dire celui que Lacan appelle Joyce le sinthome.

C’est pourquoi Lacan dit que « le mot d’esprit est au Japon la dimension même du discours le plus commun, et c’est pourquoi personne qui habite cette langue n’a besoin d’être psychanalysé » (Autres écrits, p.498).

Mais par là même, le nihilisme métaphysique s’est développé à son comble dans la société japonaise actuelle. L’abîme maintenant béant du rapport sexuel qu’il n’y a pas pourrait provoquer une supposition d’un savoir quelconque dans la place de la vérité, ce qui donnerait une chance au discours psychanalytique au Japon. Au moins, moi, je l’espère.

J’ajouterai une remarque sur lalangue de Finnegans Wake et lalangue japonaise. 


Lalangue joycienne, vous pourriez l’apprécier en écoutant une lecture à haute voix plutôt qu’en lisant le texte imprimé, puisque lalangue est essentiellement lalangue parlée.


Joyce a composé Finnegans Wake en utilisant une multiplicité de langues, tout comme lalangue japonaise se compose de langues proprement japonaise, chinoise, américaine, etc. Une telle pluralité de langues dans lalangue japonaise annule le savoir historiquement supposé par le parlêtre qui lhabite, de sorte qu’il ne reste que la matérialité vocale de lalangue qui ne veut rien dire comme telle. 


Si on en veut déchiffrage, il faut chaque fois, de nouveau, supposer dans la place de la vérité un savoir qui y serait nécessaire, tout comme on le fait pour déchiffrer le texte de Finnegans Wake.

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