2015年8月23日

Patrick VALAS, Réponse aux « six paradigmes de la jouissance » de Jacques-Alain MILLER

Réponse aux « six paradigmes de la jouissance » de Jacques-Alain MILLER, par Patrick VALAS. La Troisième, le 5 juillet 2014.

« Au fond, je me suis toujours opposé à cette façon millérienne de saucissonner l’enseignement de Lacan selon la diachronie de son déroulement, tellement la synchronie de ses avancées selon les veines de la structure ont été inaperçues de lui. Là où il parlait de contradictions dans les termes de Lacan, il a très tardivement compris qu’il s’agissait de paradoxes, que l’usage de la topologie permet de saisir facilement. Pourtant Lacan a introduit très tôt la bande de Möbius et le tore dans son enseignement, dès le Discours de Rome en 1953. S’agissant de l’inconscient, une simple bande de Möbius peut en figurer la structure : en effet, l’envers et l’endroit ne sont pas en contradiction (diachronie) mais liés paradoxalement selon la synchronie.

Il faut dire que Miller se vantait naguère que personne ne pouvait comprendre Lacan, tant que lui-même n’y avait pas mis de sa patte. C’est ainsi qu’il a décidé de publier les séminaires de Lacan selon le calendrier de cette conception typique du discours universitaire faut-il le souligner ? Il alimentait son cours par le texte de Lacan dont la plupart de ceux qui le suivaient ne disposaient pas, où plutôt ne voulaient pas se les procurer, alors que dès 1980 ils étaient tous accessibles. Ils avaient peur d’être fourvoyés, Miller les ravalant comme étant truffés d’erreurs, alors qu’il s’agissait de transcriptions originales de Lacan (souvent annotées de sa main) que celui-ci prêtait à ceux qui le lui demandaient pour en faire des photocopies.

Bref ! Les élèves de Miller lui ont été – et le sont encore d’une fidélité quasi-canine ; d’où s’explique un mode de diffusion politicienne de la psychanalyse, caractéristique de la nébuleuse millérienne internationale nommée Champ Freudien . Il a donc imposé de force sa conception de la chose pendant 20 ans à l’École de la Cause Freudienne qu’il avait fondée en faisant croire à ses membres que son fondateur en était Lacan. Tardivement, il a fini tout de même par dire qu’il s’agissait de lui. Cela a eu des conséquences désastreuses, dont la plus importante à mes yeux est impardonnable car elle concerne le passage de l’analysant au devenir analyste par l’émergence pour le sujet d’un désir inédit, inouï : le désir du psychanalyste.

En effet, Lacan avait inventé une procédure de la passe parce qu’il voulait savoir ce qu’il pouvait bien se passer dans la tête de quelqu’un pour vouloir être psychanalyste après avoir fait une analyse. Il avançait que ceux qui le décident y viennent comme une boule dans un jeu de trictrac . Au fond, il livrait ainsi la passe aux plus extrêmes aléas, comme il pouvait dire dans sa Télévision que tout est livré chez l’homme à la fortune ›, autrement dit : au hasard, lequel n’est pas sans loi, mais c’est une loi sans intention. Lacan ouvrait donc là la page blanche d’un espace vectoriel qu’il s’agissait de parcourir par la pratique institutionnelle de cette procédure de la passe, avant de commencer à griffonner les premières lettres d’un réel nouveau qui pouvait peut-être cesser de ne plus s’écrire comme impossible.

Lacan avait donné, auparavant, quelques coordonnées épistémiques de ce moment de la structure qu’il a qualifié une seule fois de traversée du fantasme . C’est un hapax. Mais Miller l’as du mathème à tout va en a fait son cheval de bataille, selon son slogan fétiche : l’Orientation Lacanienne, pour organiser la nouvelle procédure de la passe mise en fonction dans son École de la Cause Freudienne. Tout ceux qui dérogeaient à ce dogme la règle dans ce groupe pendant 20 ans étaient immédiatement rejetés, calomniés, mis à l’index, etc., bref, traités de noms d’oiseaux diversement colorés et valables, l’humour en moins. Certains nouveaux impétrants allèrent même jusqu’à répéter chez Miller ce qu’ils devaient dire à leurs passeurs qui transmettraient au cartel-jury leurs propos pour décider s’ils étaient reçus ou collés. Avec les conséquences institutionnelles que l’on sait : ruptures, scissions, tout ce que l’on désigne avec pudeur querelles de chapelles . D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement puisque nous sommes des épars désassortis ? Et pourtant, Lacan avait bien écrit que la passe n’était pas pour tous et que personne n’y était obligé.

Très tardivement, vers la fin du 20e siècle, il semble que Miller se soit quand même aperçu que la passe n’était pas du tout identique à celle qu’il avait gravé dans le marbre de ses élucubrations, et même qu’on pouvait en trouver quelques traces dans l’enseignement de Lacan. Mais seulement, voilà ! Rebelote ! C’est vrai que dans la répétition on ne répète pas la même connerie, mais cela n’empêche pas que cette nouvelle connerie soit parfois pire que la précédente. En effet, Miller, à partir de la Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI (mai 1976 ; cf. Autres Écrits ; Seuil, pp. 571-573), fait l’invention d’un nouvel inconscient : l’inconscient réel , qui serait inanalysable, non-transférentiel (sic, Miller !), et qui se distinguerait de celui qui est analysable, l’inconscient de Freud, transférentiel (re-sic, Miller !). Nous voilà donc ainsi affligés de deux inconscients ; comme si le savoir d’un seul n’était pas assez emmerdant comme ça !

Tout cela m’épuise. Quelqu’un ne voudrait-il pas prendre le relais et aller y jeter un coup d’œil ? »

1 件のコメント:

  1. "En fait, c'est un pari, c'est aussi un défi, que j'ai soutenu. Je le laisse livré aux plus extrêmes aléas. Dans tout ce que j'ai pu dire, quelques formules heureuses, peut-être surnageront. Tout est livré dans l'être humain à la fortune."
    Ce n'est pas dans Télévision mais dans un entretien radiophonique entre Nadine Nimier et Jacques Lacan rediffusé par France Culture dans une émission de Christine Goémé. :)

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